samedi 30 juillet 2016

L'arbre qui cache la forêt

Ce mois de juillet a été particulièrement sanglant en France et en Allemagne :
  • Le 14 juillet à Nice, un djihadiste au volant d'un camion tue 84 personnes
  • Le 18 juillet à Wurtzbourg, un demandeur d'asile (afghan ou pakistanais) attaque à la hache les passagers d'un train
  • Le 22 juillet à Munich, un Germano-Iranien tue 9 jeunes dans un fast-food près d'un centre commercial
  • Le 24 juillet à Reutlingen, un demandeur d'asile syrien tue une femme à la machette
  • Toujours le 24 juillet à Ansbach, un réfugié syrien commet un attentat suicide en se faisant exploser.
  • Le 26 juillet à l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, deux jeunes djihadistes égorgent avec un couteau un prêtre de 84 ans pendant la messe.
Quelques remarques au sujet de ces six tragédies :
  1. Quatre ont été revendiqués par l'Etat islamique (Nice, Wurtzbourg, Ansbach, Saint-Etienne-du-Rouvray). Le mobile terroriste n'a été retenu ni à Munich (crise de folie meurtrière), ni à Reutlingen (drame passionnel).
  2. C'est seulement à Munich qu'une arme à feu a été utilisée (pistolet Glock acheté au marché noir).
  3. Dans tous les autres cas, pas d'arme à feu (camion, hache, machette, bombe artisanale et couteau): inutile donc d'interdire la vente légale d'armes à feu, puisqu'une personne déterminée commettra son méfait par d'autres moyens (armes blanches utilisées dans la plupart des cas récents)
  4. Bilan de ces drames, qui ont monopolisés l'attention médiatique ces deux dernières semaines : 95 morts. Ils s'ajoutent aux 200 attentats revendiqués par l'Etat islamique, et qui ont fait 3'000 morts au total, principalement au Proche et Moyen-Orient (notamment en Syrie, Irak, Afghanistan). En comparaison, la guerre en Syrie, commencée en mars 2011 à ce jour, a fait de 260'000 à 470'000 morts d'après les estimations de diverses ONG et de l'ONU.
Dans ce contexte, nul doute que l'enjeu sécuritaire sera le thème central des prochaines élections présidentielles, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, le crédo du candidat républicain Trump est d'affirmer que le terrorisme est la menace la plus grave pour le pays; en réponse, le président sortant Obama et la candidate démocrate Clinton affirment que tout va bien. Malheureusement, ils ont les trois tort.

Il est en effet des plus funestes pour notre avenir commun que ces attentats accaparent toute l'attention des politiques (à des fin électoralistes), des médias (le sensationnel est vendeur) et donc du public, au détriment d'enjeux qui auront des conséquences bien plus dramatiques, sur le moyen et le long terme. A moins qu'il soit commode de passer sous silence les crises à venir, comme la poussière que l'on dissimule sous le tapis ?

Voici pourtant les priorités qui devraient dès à présent mobiliser toutes les énergies :
  • stabiliser et réglementer la finance mondiale, au bord de l'effondrement (dans un bis repetita de la crise des subprimes, du krach boursier de 2008 et des faillites bancaires qui s'en sont suivies). Voir à ce sujet l'article à venir en août sur la finance de l'ombre.
  • concrétiser enfin la transition énergétique, pour limiter les pénuries liées à la fin proche du pétrole abondant et bon marché, et survivre à la crise écologique majeure à venir (réchauffement climatique, chute de la biodiversité).
  • produire/consommer local, et décentraliser les systèmes d'approvisionnement et les infrastructures qui fournissent nos ressources (eau, alimentation, énergie, soins) pour qu'ils soient résistants, durables et résilients (voir l'article précédent au sujet de l'effondrement).
Lorsque ces urgences vitales sont évoquées, on ne dépasse toutefois pas le stade des déclarations d'intentions. La prise de mesures concrètes par les décideurs se fait attendre. C'est d'autant plus regrettable qu'il est peut-être déjà trop tard...

Fred Deion

mercredi 27 juillet 2016

De l'effondrement

Il y a un mois, en juin, le livre de Dmitry Orlov "Les cinq stades de l'effondrement" est sorti en langue française (trois ans après sa sortie en anglais, en 2013). J'en profite donc pour le présenter ici en quelques lignes.
Comme son titre l'indique, l'ouvrage est structuré en cinq parties (illustrées chacune par une étude de cas) qui suivent un ordre chronologique. Pour l'auteur, c'est dans le domaine financier que le risque de crise est le plus élevé (voir à ce sujet l'article à venir en août sur la finance de l'ombre). Ainsi, un krach boursier, tel que celui survenu après l'éclatement de la bulle des subprimes, peut mener à des faillites bancaires et finalement à un effondrement de la finance. Dans ce contexte, tous les instituts liés à la bourse deviennent insolvables les uns après les autres, les avoirs ne sont plus garantis et l'épargne disparaît. L'étude de cas revient sur l'effondrement financier qui a frappé l'Islande en 2008, et qui a contraint le gouvernement à nationaliser les trois banques du pays.
L'effondrement commercial suit celui de la finance : l'argent liquide perd sa valeur et les chaînes logistiques se rompent, entraînant des pénuries. L'étude de cas pour cette deuxième partie illustre le développement de la mafia russe dans les années 1990, bien connue de l'auteur qui a vécu l'effondrement de l'Union Soviétique à cette période.
La troisième étape est celle de l'effondrement politique, lorsque le gouvernement n'assure plus les services publics et perd sa légitimité. Les missions de l'Etat sont alors remplies par des groupes non officiels, qui prennent le pouvoir dans des zones de non droit. L'exemple choisi dans l'étude de cas est celui des tribus pachtounes qui s'auto-administrent dans la région située à la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan.
Le stade suivant est celui de l'effondrement social, qui survient en raison de l'absence de plus en plus de ressources. Les institutions sociales disparaissent, entraînant l'exclusion de parties de populations. L'étude de cas de cette étape se penche sur le cas des roms.
Le dernier stade est celui de l'effondrement culturel, où les individus se disputent les rares ressources restantes. La tribu africaine des Iks a vécu une telle infortune. A la base semi-nomades, ils perdent l'accès à leur territoire de chasse lorsque celui-ci devient un parc national. Leurs rites et coutumes ont connu de tels bouleversements qu'il s'en est suivi une déliquescence complète de leurs structures sociales, passant d'une communauté solidaire à un individualisme désespéré (se cacher pour manger, pour ne pas à avoir à partager le peu de nourriture que l'on a réussi à obtenir).

Un article sur l'effondrement serait incomplet s'il ne mentionnait un autre ouvrage, "Comment tout peut s'effondrer : petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes". Les auteurs relèvent, d'une part, que des limites sont atteintes (fin proche des énergies abondantes et de la croissance); d'autre part, des frontières sont franchies (réchauffement climatique, chute de la biodiversité); enfin, nos infrastructures qui fournissent l'eau, l'alimentation, l'énergie et la santé sont toujours plus complexes et donc plus fragiles et vulnérables. La combinaison de ces trois facteurs menace donc nos systèmes d'approvisionnement et provoque immigration, guerres, épidémies, famine. Face à la perspective de l'effondrement, que faire ? Les auteurs mettent en avant l'anticipation et la résilience, avoir conscience de ce qui arrive et affronter les événements à venir avec calme et courage. Ils listent aussi d'autres attitudes possibles : "ça va péter" (réaction faite d'impuissance, de ressentiment et de nihilisme), "à quoi bon" (profiter tant qu'il en est encore temps), "transition" à grande échelle (avec un esprit collectiviste et non violent), "étude du collapse" (via livres, articles, sites, blogs), et "survivaliste", qui est la stratégie décrite dans le dernier livre présenté dans cet article.

Dans les deux premières parties de "Survivre à l'effondrement économique", Piero San Giorgio liste les risques (surpopulation, pénurie des ressources, fin du système financier, dégradations de la biosphère) et décrit les mécanismes de l'effondrement (crises financière et économique, sociale et politique, logistique, alimentaire, sanitaire, écologique).
La singularité du livre de Piero San Giorgio, à l'inverse des deux autres ouvrages précédemment cités, est qu'il propose des solutions pratiques pour survivre à un effondrement. Son concept de BAD (Base Autonome Durable) s'articule autour de sept points : accès à l'eau, à la nourriture, aux soins, à l'énergie, avoir des connaissances utiles, savoir se défendre, et développer le lien social. Tout au long des deux dernières parties, des conseils sont prodigués pour se préparer à la résilience.
http://piero.com/

Bonnes lectures !

Fred Deion