dimanche 26 février 2017

Interview de la députée européenne Dita Charanzová sur les restrictions sur les armes

Voici la version française (traduite par mes soins) de l'interview de la députée européenne Dita Charanzová au sujet des restrictions prévues par l'Union Européenne sur l'achat et la détention légale d'armes par les citoyens. La version anglaise a été publiée sur https://firearms-united.com/2017/02/19/eu-gun-ban-dita-charanzova-speaks-out-to-firearms-united/ et sur https://www.gunsweek.com/en/current/articles/eu-gun-ban-dita-charanzova-speaks-out-firearms-united

Q : Mme Charanzová, comment avez-vous vécu ce processus complet en qualité de rapporteur fictif  ? ("shadow rapporteur", député qui suit un dossier pour un groupe politique autre que celui du rapporteur - note du traducteur).
Dita Charanzová : Je dois dire que depuis que je suis présente et que je travaille à Bruxelles - d'abord comme employée à la représentation permanente de la République tchèque, puis comme députée européenne - je n'ai jamais été confrontée avec une proposition qui a été autant politisée, particulièrement au moment où les négociations se terminaient; et j'ai trouvé cela très décevant.
La Commission européenne a exercé une pression énorme pour faire adopter un texte qui contienne des restrictions aussi sévères que possible, et pour le faire adopter aussi vite que possible, sans être en mesure de donner quelque raison valable que ce soit pour justifier de telles restrictions.
Par exemple, une des exigences de base pour tout processus législatif approprié est d'effectuer une estimation d'impact - une évaluation de la situation actuelle et une expertise sur l'impact des changements proposés, et leurs bénéfices et coûts attendus.
La Commission européenne a négligé de présenter cela, ils se sont contentés de se référer à quelques anciennes études. De plus, ces études ne traitaient que de quelques questions partielles. Pourtant, une étude d'estimation d'impact est une ligne directrice clé pour les députés lorsqu'ils prennent leurs décisions; c'est pourquoi je l'ai réclamé à plusieurs reprises à la Commission, même pendant les sessions publiques de l'IMCO (commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs - note du traducteur).
Q : Un autre exemple de cette problématique est celui de l'approche du public. Avant de présenter leur proposition, la Commission européenne lança deux consultations publiques, mais leur proposition ne repris rien des plus de 28'000 réponses reçues. Alors, pourquoi donc ces consultations sont lancées ?
Dita Charanzová :C'est une bonne question - pour la Commission européenne. Je leur ai demandé moi-même cela durant la procédure publique; toutefois, cette question a été évacuée sans aucune réponse.
Q : Quel est le rôle actuel de la Commission européenne dans ce processus législatif ?
Dita Charanzová : La Commission a le droit d'initiative. Cela signifie qu'elle peut émettre la proposition législative, mais elle ne peut pas l'approuver. En pratique, la Commission prépare la proposition législative et la présente avec les expertises techniques - comme l'étude d'estimation d'impact - au Conseil et au Parlement. Ces deux organes ont le droit de décider, soit en approuvant ou ou en rejetant cette loi. Durant cette procédure, la Commission fournit des informations techniques et des opinions d'experts à la demande du Conseil ou du Parlement. Si la Commission a une raison de le faire, elle peut même retirer sa proposition.
Toutefois, tout s'est passé à l'inverse de ceci avec cette proposition de directive.
Nous avons demandé à de nombreuses reprises une étude d'estimation d'impact qui aurait indiqué combien de personnes et d'armes seraient impactées par ces restrictions, et combien de crimes et d'attaques terroristes étaient commises avec ces armes. Pas de réponse.
Quand nous avons insisté là-dessus, au lieu de produire une étude d'estimation d'impact, la Commission posa ces questions aux Etats Membres sous la forme d'un questionnaire, et nous en présenta les résultats. Et les résultats étaient que le nombre de personnes impactées se compteraient au moins en centaines de milliers.
Ces procédures étaient vraiment non standard. Les représentants de la Commission amenèrent certains changements de dernière minute qu'ils n'étaient pas capables de justifier - ils n'étaient absolument pas préparés du tout. Dans un cas, ils ont même essayé de répondre à mon objection par une définition prise dans Wikipedia. Heureusement, c'en était trop, et pas seulement pour moi, et ce point a été rejeté.
Q : A votre avis, pourquoi la Commission procède ainsi ? Quel est le contexte historique de de cette situation ?
Dita Charanzová : Je ne veux pas faire tourner ici une théorie complotiste. Toutefois, une des raisons de l'éminent intérêt de la Commission est que, pour le moment, c'est la seule proposition qui prétend aborder la question de la dégradation de la sécurité dans l'Union Européenne. Que cette proposition soit efficace ou pas, ils n'ont rien d'autre.
Ce n'est également pas un secret que la Commission a été fortement poussée dans ce positionnement par la France, qui doit présenter quelque chose à ses citoyens avant les élections présidentielles d'avril.
Malheureusement, même le rapporteur et des collègues d'autres groupes ont finalement succombé à cette pression. Je n'ai cependant pas succombé à cette pression car premièrement et avant tout, je représente les citoyens tchèques et leurs droits légitimes.
Q : Les détenteurs d'armes de la République tchèque réagirent passionnément contre cette proposition, et des réactions similaires vinrent d'autres pays européens, y compris de Suisse. Ces réactions n'étaient pas dirigées juste sur la directive, mais sur l'Union Européenne dans son ensemble.
Dita Charanzová : Oui, une partie du Parlement voit ce risque. Les députés libéraux de notre groupe signalent que la Commission transforme beaucoup de citoyens européens en ennemis de l'Union Européenne sans raison. Toutefois, la plupart des députés ont soutenu cette proposition, parce que la Commission déclara que si le Parlement refusait d'approuver cette proposition, il serait accusé de refuser de protéger la population contre le terrorisme.
Nous sommes en train de jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous avons besoin d'une Europe plus sûre, et je suis la première à voter pour cela. Cette directive pourrait être bénéfique sans empiéter sur les libertés individuelles - par exemple, en s'assurant que les armes désactivées le soient correctement et de manière irréversible. La direction que prend la Commission est cependant complètement fausse. Pour rendre la directive fonctionnelle et utile, nous devons la préparer comme la loi tchèque sur les armes a été préparée : basée sur des faits, en l'examinant minutieusement, et en ne limitant les libertés individuelles pas plus qu'il est absolument nécessaire de le faire pour assurer la sécurité commune. C'est ce que j'ai exhorté à faire durant tout le processus législatif.
Q : Quelles seront vos prochaines actions ?
Dita Charanzová : La prochaine étape est le vote à la session plénière du Parlement Européen, en mars. J'essaierais de proposer quelques amendements. Je dis "j'essaierais" car un seul député ne peut pas proposer des amendements en session plénière; seuls des groupes de 40 députés ou un groupe entier peut le faire. C'est pourquoi je dois travailler à fédérer ce soutien.
Le Parlement doit ensuite voter les amendements proposés. Je n'essaierai pas de donner de pronostic sur le résultat, mais il sera influencé par de nombreux facteurs. Le processus législatif n'étant pas terminé, nous devons donc continuer à nous battre.
En cas de défaite au Parlement Européen, recourir contre la directive à la Cour Européenne de Justice est la possible étape suivante - et je soutiendrais cette étape.

Note du traducteur : au-delà des restrictions à l'achat et à la détention légale d'armes, cet interview illustre très bien l'ingérence de la Commission Européenne (non élue par le peuple) dans le processus législatif européen, et l'amateurisme et l'impréparation de ses représentants.
Je tiens enfin à remercier firearms-united de m'avoir autorisé à traduire et publier cet interview, et Dita Charanzová pour défendre les droits de tous les détenteurs légaux d'armes en Europe.
Fred Deion #iamthegunlobby

Décrets de Trump pour démanteler la réglementation financière : le début de la fin

(article également publié sur le site http://lesakerfrancophone.fr/)  

On parle beaucoup du décret anti-immigration de Trump, interdisant notamment l'entrée aux USA de ressortissants de sept pays (sept pays qui ont tous subi des invasions, attaques ou embargos de la part des différentes administrations américaines).
Pourtant, ce décret inutile ne fait que stigmatiser un grand nombre de personnes, avec un effet nul sur la lutte contre le terrorisme, voire contre-productif : en attisant les haines, cela peut susciter des vocations au djihad anti-US et au martyr. Sans oublier qu'un attentat, même meurtrier, hormis ses malheureuses victimes, sa charge émotionnelle et son buzz médiatique, n'a qu'une portée limitée.

Par contre, on parlera un peu moins de la volonté affichée de détricoter l'insuffisante réglementation du système financier mise en place après la crise des subprimes de 2008.

Dommage !

En effet, l'abrogation des deux décrets visant la loi Dodd-Frank et la règle Volcker aurait une portée systémique.

Pour rappel, la loi Dodd-Frank de 2010 a créé le bureau de protection financière des consommateurs (CFPB) chargé de réguler les prêts hypothécaires et les cartes de crédit, suite aux abus constatés lors de la crise des subprimes. Cette loi a aussi obligé les banques à augmenter leurs fonds propres et subir des tests annuels de résistance ("stress tests", qui valent ce qu'ils valent...), afin d'éviter une faillite comme celle de Lehman Brothers.
Quant à la disposition de la loi Dodd-Frank qui visait à éviter la corruption pour l’obtention de concessions, elle a d'ores et déjà été abrogée. Désormais, les compagnies pétrolières et minières américaines ne sont plus obligées de rendre public les sommes versées aux gouvernements étrangers.

La règle Volcker empêche les banques de pratiquer la spéculation pour leur propre compte et vise à freiner leurs investissements spéculatifs avec l’argent de leurs clients : l’objectif consiste à éviter le financement d’actifs risqués par des dépôts garantis par l’Etat fédéral (rappelons que la crise financière de 2008 a coûté 1000 milliards de dollars au contribuable américain, argent public qui a servi à renflouer des banques privées).
Le deuxième décret vise aussi la règle fiduciaire qui oblige les conseillers financiers à agir dans l’intérêt de leurs clients. Cette règle les empêche actuellement de conseiller à leurs clients des placements pour lesquels les commissions sont les plus élevées, ou d'acheter des produits, alors que leur banque spécule contre ces mêmes produits.

Comment justifier la remise en cause de deux législations qui visent à éviter les excès sur les marchés financiers et à protéger davantage les consommateurs ?

Selon les républicains, cette législation était nuisible tant pour les banques que pour les consommateurs. L’association bancaire ABA s’est elle félicitée de cette initiative «qui devrait permettre de libérer le pouvoir de l’industrie bancaire».
Le directeur du Conseil économique national à la Maison Blanche Gary Cohn (ancien numéro deux de Goldman Sachs) a déclaré que l’objectif de déréglementer les marchés financiers n’était pas une faveur accordée aux banques.
«Il s’agit d’être un acteur sur le marché mondial où nous devons, pouvons et aurons une position dominante. Les banques vont être en mesure de fixer leurs prix plus efficacement et donc au mieux pour les consommateurs. Les Américains vont pouvoir faire de meilleurs choix et accéder à de meilleurs produits financiers».

Ha la bonne blague.

Lors de sa campagne électorale, M. Trump avait pris la défense des populations défavorisées, mises à la rue par la crise des subprimes, en fustigeant l’attitude des banquiers de Wall Street. Pourtant, ces derniers sont largement représentées au sein de sa nouvelle administration :
  • Steven Mnuchin, 17 ans chez Goldman Sachs, repreneur de la OneWest Bank, leader des saisies sur le segment des personnes âgées en expulsant des dizaines de milliers d’Américains de leur maison, nommé secrétaire au Trésor
  • Wilbur Ross, ex-banque Rotschild, repreneur d'entreprises en difficultés et restructurées à coup de milliers de licenciements, nommé secrétaire au Commerce
  • Stephen Bannon, ex-Goldman Sachs, nommé conseiller de la Maison Blanche
  • Paul Atkins, ex-membre de la Securities and Exchange Commission (SEC), CEO d'une entreprise de services financiers, nommé conseiller sur la réglementation financière
  • Le déjà cité Gary Cohn, ex-numéro deux de la banque d’affaires Goldman Sachs, nommé directeur du Conseil économique national.
Réactions

Le démantèlement de cette réglementation financière suscite heureusement quelques réactions, par exemple de l’ONG Public Citizen : «Revenir sur ces règles montre que l’administration Trump est du côté de Wall Street», du sénateur démocrate Charles Schumer «le président Trump qui avait promis de tenir tête aux grandes banques, leur permet maintenant d’écrire le code de la route» ou encore du ministre suédois des marchés financiers «Donald Trump est bel et bien une menace pour la stabilité financière. C'est dangereux, nuisible et extrêmement malheureux à l'époque où nous vivons».

 Pronostic

A partir de là, il n'est pas difficile de pronostiquer une prochaine crise financière, en bis repetita de celle de 2008. Car imaginer que les banques, sans le corset d'une réglementation minimale, soient raisonnables plutôt que cupides, relève d'une naïveté presque insultante.
Alors elles prendront tous les risques en dépit du bon sens,  jusqu'au krach final. Cette fois, qui viendra sauver les banques ? Les Etats, déjà surendettés depuis 2008 ? Les banques centrales, exposées par leurs achats massifs de titres financiers qui font exploser leurs bilans ?

C'est d'autant plus regrettable qu'un effondrement du système est l'affaire de tous :
  • pour les épargnants, risque de ponction sur les comptes, comme à Chypre en 2013
  • pour les propriétaires insolvables, saisie du logement, comme lors de la crise des subprimes
  • pour les contribuables, si l'Etat devient prédateur pour renflouer ses caisses vides
  • pour les retraités, si le paiement des rentes ne peut plus être honoré
  • pour les salariés, si leur entreprise dépose son bilan
En 2008, nous avons vu que les banques ne prêtaient plus, par crainte que l'emprunteur fasse faillite et ne rembourse pas. Conséquence : tout le système de crédit peut se bloquer.
Or, l'économie réelle a elle aussi besoin d'avoir accès au crédit pour échanger, acheter et vendre. Conséquence : sans crédit, plus de commerce; et sans commerce, tout s'arrête.

Les décrets présidentiels US n'ont toutefois pas force de loi. Toute modification devra suivre un processus législatif qui se compte en années plutôt qu'en mois.
Dans l'intervalle, on assistera dans un premier temps à une euphorie boursière basée sur ces bonnes dispositions. Cette allégresse sera propice, comme chacun le sait, à un futur krach.
Rendez-vous est pris pour dans quelques années : ce ne sera donc pas pour tout de suite, mais ce sera saignant.

Fred Deion

jeudi 2 février 2017

Quelle est la menace ?

J'ai assisté récemment à une présentation donnée par un professionnel suisse du renseignement au sujet de la menace. Comme les risques qui sont identifiés pour la Suisse peuvent s'appliquer à fortiori aux pays voisins, il ne me semble pas inutile de les rappeler ici :

1) En premier lieu, il y a évidemment le djihadisme en provenance du Proche et Moyen-Orient, ainsi que de l'Afrique du Nord et saharienne. Les deux organisations terroristes les plus développées, Al Qaïda et Daesh, ont ciblé la France, la Belgique et l'Allemagne en Europe occidentale ces deux dernières années. Les menaces sont multiples :
  • auto-radicalisation sur internet, conversions en prison...
  • modes opératoires à imiter (attentats clé en mains), même avec très peu de moyens logistiques (armes blanches, camion en location, etc.)
  • risque du retour des voyageurs du Djihad, qui ont effectué là-bas des corvées d'entretien ou autre (WC, cuisine, etc.), reviennent frustrés et motivés à passer à l'acte ici
2) Conséquences des migrations incontrôlées, en raison de la poursuite des conflits au Proche et Moyen-Orient.

3) Cyberattaques, espionnage économique, bancaire, industriel, scientifique, etc.

Rapport de situation


Jusque là, rien de bien nouveau. Je suis donc allé sur le site du service de renseignement de la Confédération (SRC) http://www.vbs.admin.ch/fr/ddps/organisation/unites-administratives/service-renseignement.html et j'y ai trouvé son rapport de situation 2016. Au fil de ses 80 pages, s'y trouvent quelques passages qui sont dignes d'être relevés :
  • tensions sociales à craindre, en raison de la persistance de la crise de la dette en Europe du Sud, de l'instabilité du système bancaire et de la fragilité de la zone euro
  • l'économie mondiale jugée en "perte de vitesse"
  • les dysfonctionnements sur les marchés des matières premières et de l'énergie, qui peuvent menacer nos approvisionnements
A de nombreuses reprises dans de précédents articles sur ce blog, j'avais déjà évoqué ces risques systémiques que font peser le système financier http://actufreddeion.blogspot.ch/2016/10/conference-de-myret-zaki-olivier.html ou cette problématique des ressources http://actufreddeion.blogspot.ch/2017/01/2016-ce-qui-fait-le-buzz-et-ce-qui.html

S'y ajoutent d'autres dangers à plus long terme, comme le réchauffement climatique et la bombe à retardement démographique (surpopulation et vieillissement)...

Le SRC sortira son rapport de situation 2017 en mai. Développera-t-il ces tendances lourdes, plus dangereuses pour notre avenir commun que le retour de djihadistes, certes aguerris et déterminés ? J'y reviendrai, si la nouvelle mouture de ce rapport mérite un article (?).

Fred Deion