dimanche 31 décembre 2017

Prise de position à propos de la transposition de la directive UE sur les armes dans le droit suisse

Depuis un an, j'ai publié plusieurs articles au sujet de la directive UE limitant l'achat et la détention légale d'armes par les citoyens européens.

La Suisse, non membre de l'UE mais signataire de Schengen, devrait reprendre ces restrictions. Un avant-projet a été mis en consultation, et de nombreuses associations se sont exprimées à cette occasion, même au-delà des sociétés de tireurs ou collectionneurs.

Je publie l'une de ces prises de position ci-dessous, et pour ce faire j'ai choisi celle de la Société genevoise de tir tactique, car elle me semble tout à fait représentative des inquiétudes que le citoyen suisse est en droit d'avoir au sujet de la limitation de ses droits et de l'atteinte à ses libertés :

"De manière générale, nous estimons que l’avant-projet n’utilise pas suffisamment la marge de manœuvre qui est laissée à la Suisse pour se conformer au droit européen - dans la mesure où cela est impérativement nécessaire, ce dont nous doutons. En effet, la directive européenne est en parfaite contradiction avec les traditions démocratiques suisses, en particulier la notion de citoyen-soldat et d’armée de milice. En passant, pour les armes utilisées par les tireurs sportifs et de loisir sérieux, d'un système d’autorisation de police (qui doit être accordée lorsque les conditions sont remplies) à un système d’autorisation exceptionnelle (dont l’octroi relève du bon vouloir de l’autorité), l’avant-projet porte une atteinte intolérable aux libertés des honnêtes citoyens qui se trouvent ainsi d’emblée traités comme criminels potentiels. Une telle approche contribuera à détruire le rapport de confiance réciproque qui existe traditionnellement en Suisse entre l’Etat et ses citoyens, et qui est un élément fondateur de la réussite et de la cohésion de notre pays.
Enfin, s’agissant de l’utilité d’un nouveau durcissement de la réglementation relative aux armes, notons encore qu’une telle mesure n’aurait aucun effet positif pour la lutte contre le terrorisme, étant rappelé que les terroristes n’ont besoin d’aucune autorisation pour louer un camion ou une voiture ni encore pour se procurer une arme illégale. Faut-il rappeler ici que la Suisse n’a subie à ce jour aucune attaque terroriste comparable à nos voisins européens et compte tenu de sa neutralité armée, la Suisse ne participe à ce jour à aucun conflit. 
Pour ces motifs, nous rejetons le principe même du projet de révision de la Loi sur les armes.
Nous formulons pour le surplus les observations suivantes sur quelques points de l’avant-projet qui nous paraissent particulièrement inacceptables :

Accessoires d’armes (Article 4)

Une limitation de la capacité des magasins n’a aucune utilité pour réduire les risques d’attentats ou de tuerie de masse, car les auteurs potentiels emporteront tout simplement plus de magasins avec eux, sachant qu’un changement de magasin ne nécessite qu’une seconde ou deux et ne ralentit donc pas de manière significative un tireur malveillant. Les États qui ont mis en place des restrictions dans ce domaine ont par ailleurs tous échoué à réduire par ce biais les risques d’un usage abusif des armes à feu par les criminels et les terroristes. Cette mesure est donc particulièrement disproportionnée, inappropriée et inefficace par rapport aux buts à atteindre.

Affectation aux catégories d’armes (Article 5)

Notre critique principale concerne l’attribution de certains types d’armes à feu semi-automatiques à percussion centrale à la catégorie d’armes interdites (d’une part les armes équipées d’un chargeur de grande capacité et d’autre part les armes à feu à épauler semi-automatiques pouvant être raccourcies à moins de 60 cm).
Comme évoqué ci-dessus, il n’est pas acceptable que l’obtention d’une autorisation pour acquérir, voire simplement conserver des armes de ce type ne soit plus un droit, mais dépende de la bonne volonté de l’autorité cantonale. Le Dossier de presse - Mise en œuvre de la directive de l’UE sur les armes du 29 septembre 2017 indique à ce sujet ce qui suit : «Les tireurs sportifs qui désireront à l’avenir acquérir une arme visée par la nouvelle réglementation pourront toujours le faire. Ils recevront une autorisation à condition de remplir une des deux conditions suivantes : [...]». Or cela est faux, car l’octroi de l’autorisation n’est aucunement garanti. Au contraire, le texte de l’avant-projet indique clairement qu’une «autorisation exceptionnelle [..] ne peut être délivrée qu'aux conditions suivantes [...]». En d’autres termes, celui qui ne remplit pas les conditions n’aura bien évidemment pas l’autorisation, mais celui qui les remplit n’en peut pas non plus être certain, car il n’y a par définition pas d’obligation pour une autorité administrative de délivrer une autorisation exceptionnelle. Ce point doit impérativement être modifié dans le sens qu’il existe un droit à l’obtention d’une autorisation exceptionnelle pour l’acquisition de ces types d’armes si les conditions sont remplies.

Autorisations exceptionnelles et pratique régulière du tir (articles 28b à 28e)

S’agissant précisément de ces conditions, elles ne sont pas formulées de manière suffisamment précise, en particulier en ce qui concerne le tir sportif. En effet, la marge d’appréciation d’une autorité cantonale pour déterminer si le tir sportif est exercé «régulièrement» est beaucoup trop grande. De même, il faut s’assurer que la notion de «tir sportif» soit comprise dans un sens large qui ne soit pas limité à la participation à des compétitions ni même à la pratique de disciplines réglementées par une fédération de sociétés de tir, mais qui comprend également le tir de loisir, fortement ancrée dans les traditions suisses.
Cela dit, nous rejetons l’introduction de la clause du besoin par principe démocratique. En effet, une telle clause du besoin et l’exigence de la preuve de pratique sont des mesures discriminatoires, totalitaires et incompatibles avec les libertés fondamentales. Il n’existe aucune approche similaire dans la pratique d’une quelconque autre activité, même si celle-ci peut mettre en danger un grand nombre de personnes. A titre d’exemple, personne n’a besoin de démontrer le besoin d’une voiture de sport, ni même de conduire pour posséder un véhicule.
Si nous voulons lutter conjointement contre l’usage abusif d’armes à feu, il serait ainsi plus judicieux de soumettre la délivrance d’un permis d’acquisition à la preuve d’une formation appropriée, en reconnaissant les formations dispensées par les Fédérations faîtières de tir et l’Armée suisse.

Conclusion

La Société genevoise de tir tactique :
- considère donc, tout en admettant qu’il est dans l’intérêt de la Suisse de se conformer à ses obligations découlant des accords de Schengen, que la nécessité d’un nouveau durcissement de la loi sur les armes n’est de loin pas démontrée ;
- constate que la Suisse est, pour l’instant, épargnée par le terrorisme extrémiste et que les mesures envisagées par la Directive sur les armes 91/477/UE sont disproportionnées par rapport aux objectifs à atteindre en matière de sécurité publique ;
- invite le Conseil fédéral à utiliser davantage sa marge de manœuvre afin de réduire au strict minimum l’atteinte portée aux droits des détenteurs d’armes et donc à la liberté individuelle des citoyennes et citoyens ;
- rejette catégoriquement l’attribution de certains types d’armes à la catégorie des armes interdites ;
- exige que chaque personne qui en remplit les conditions ait le droit d'obtenir l’autorisation nécessaire pour l’acquisition d’armes de ce type, sans être livrée au pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’autorité compétente.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, nos salutations les meilleures.
Daniel Wenker
Président SGTT

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