dimanche 8 mai 2016

Entretiens avec Bernard Wicht sur le "Nouveau Moyen Age"

Le lecteur attentif aura pris connaissance avec un vif intérêt des deux brillants entretiens que Bernard Wicht (privat-docent à la faculté des sciences sociales et politiques de l'université de Lausanne) a accordé récemment à "Défense et Sécurité Internationale" (DSI) et à "Allez savoir !" (AS!)
Pour ceux qui seraient néanmoins passés à côté de ces deux articles, voici une petite session de rattrapage avec un best of des meilleures citations :

"L'affrontement entre Etats (ne domine plus) l'art de la guerre. (Celle-ci) se déroule à l'intérieur des sociétés et, dans la majorité des cas, entre des protagonistes non étatiques. C'est pourquoi la notion de Nouveau Moyen Age est très intéressante pour interpréter notre époque, (via des modèles tirés) du Moyen Age historique, c'est-à-dire la période s'étalant (...) de la chute de l'Empire romain d'Occident (476) à celle de Constantinople (1453). Cela permet d'envisager comment des sociétés sans Etat peuvent, à l'exemple de la féodalité, mettre en œuvre un système militaire efficace (la chevalerie), ou comment des Etats sans territoire peuvent se doter d'une puissance militaire et financière ainsi que l'indique le cas des Templiers. (...) Le Moyen Age connaît une pluralité de formes d'organisation proto- ou para-étatiques telles que les armées privées de chevaliers-brigands ou les sociétés de pirates. (...)(Aujourd'hui, les) groupes armés, seigneurs de guerre, gangs (sont) en mesure de proposer à certaines sociétés une alternative (...) à l'Etat-nation (...) : narco-guérillas telles que les FARC, aux gangs tels que les Zetas mexicains, aux groupes armés (Hamas, Daech) et aux mafias. (...)(Ce sont ces caractéristiques qui) seront celles de l'armée ennemie que nous aurons très probablement à combattre en Europe d'ici une décennie. Cette armée sera 1) transnationale, 2) low tech-low cost, 3) recrutera sur la base d'un récit commun (religion-idéologie), 4) contrôlera les populations nationales par la terreur, 5) se financera par le commerce de produits légaux et illégaux, 6) pratiquera le zébrage des territoires (zones de non-droit, caches, tunnels), 7) aura pour tactique principale de créer l'insécurité pour étendre son contrôle (attentats, enlèvements, check points mobiles).(...) Trois règles (se dégagent) pour appréhender la réalité contemporaine : premièrement, l'allégeance stato-nationale unique fait place à une pluralité d'allégeances tribales (mafias, gangs, diasporas); deuxièmement, (...) des institutions formelles (se vident) de leur substance tandis que des organisations informelles montent en puissance; troisièmement, (...) seuls ceux qui s'adaptent survivent. (...) Le citoyen-soldat 2.0 (fonde sa démarche) sur son droit naturel  à la légitime défense, (...) car (il) n'affronte pas une armée conventionnelle, ni un adversaire régulier, mais un ennemi irrégulier pratiquant aussi bien le viol, l'enlèvement, la décapitation que le raid et l'embuscade." (DSI)

"La multiplication des affrontements entre les Etats-nations actuels et des groupes sans territoire, mais dotés d'une réelle puissance financière et militaire (annonce l'entrée) dans la guerre civile moléculaire. (...) A Paris, en novembre 2015, l'Etat islamique a porté des coups avec de petites équipes de 3-4 combattants armés de leur détermination et de leur kalachnikov. Dans la guerre civile moléculaire, le conflit se déroule au niveau des individus." D'un côté "les soldats du djihad", où on trouve une "nouvelle trilogie formée de la kalachnikov, du Coran et de la drogue, (...) les terroristes sont souvent des petits délinquants, de petits dealers. (...) Ces liens avec le crime organisé sont l'une des grandes caractéristiques des groupes armés à l'heure actuelle, que ce soit Daech, le Hamas (en Palestine), les Talibans (en Afghanistan) ou encore les FARC en Colombie. A la différence des armées conventionnelles, ces mouvements sont devenus capables de se financer par eux-mêmes : (...) pétrole, (...) le trafic des antiquités, le commerce de la drogue, (...) la vente d'esclaves ou d'otages, les trafics d'armes et autres extorsions ou rapines. (...) Ces réseaux maffieux pourraient encore constituer une porte de sortie, le jour où l'Etat islamique connaîtra des difficultés à défendre sa base arrière. On peut ainsi imaginer que, si Daech devait être contré en Syrie, il sera capable de se rematérialiser en Lybie (voire en Europe), en faisant passer ses combattants dans le flux des réfugiés, pour les réarmer sur place grâce aux trafics d'armes. Daech, c'est l'armée, ou les armées que l'Europe aura probablement à combattre sur son territoire d'ici une décennie environ." (AS!)

Si cette sombre prévision se confirme, serons-nous prêts ?  

Fred Deion

A lire de Bernard Wicht : "Une nouvelle guerre de trente ans ? Réflexion et hypothèse sur la crise actuelle" et "Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne"

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