jeudi 5 mai 2016

Votation du 5 juin : Revenu de base inconditionel (RBI). Utopie ou imposture ?

A un mois du prochain exercice démocratique auquel se livre régulièrement les Suisses, j'ai été apostrophé : "Le RBI, t'en penses quoi ?"
De nombreux arguments sont mis en avant par ses partisans, et j'en ai retenu trois parmi les plus fréquemment cités.
Argument 1 : La révolution numérique supprime des emplois (ce qui est parfaitement exact). Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'un changement de mode de production impacte l'activité de l'être humain. Il y a eu en effet 4 révolutions majeures dans l’histoire de l’homme : les révolutions néolithique, industrielle, tertiaire et maintenant numérique.
La première révolution du mode de production, agricole, survient lorsque des groupes de chasseurs-cueilleurs mobiles (qui suivent les migrations des animaux sauvages au pas de course) se sédentarisent pour pratiquer l’agriculture. Les plantes et animaux sauvages sont domestiqués dès 14'000 ans avant J.-C. en Mésopotomie. Au cours des millénaires suivants, ces tribus de chasseurs-cueilleurs nomades fondent des villages permanents, ce qui favorise le développement de densités de population de plus en plus grandes, une division du travail de plus en plus complexe, des structures administratives et politiques centralisées. En résumé, la révolution néolithique est celle de la transition du chasseur vers l’agriculteur.
La révolution industrielle survient à la fin du XVIIIème siècle (en Grande-Bretagne) et au XIXème siècle (reste de l'Europe, USA), lorsque la mécanisation de l’outil de production agraire pousse des ouvriers agricoles désoeuvrés vers les villes demandeuses de force de travail pour s'engager dans les usines nouvellement créées. En résumé, la révolution industrielle est celle de la transition de l’agriculteur vers l’ouvrier.
Avec l’automatisation du début du XXème siècle, les usines cessent d’être le premier employeur, mais avec l’éducation qui se généralise (école obligatoire), la baisse de l’emploi ouvrier (col bleu) est compensée par la montée de l’emploi tertiaire (col blanc). En résumé, la révolution tertiaire est celle de la transition de l’ouvrier vers l’employé de bureau.
Aujourd'hui, même si la révolution numérique fait disparaître des emplois (personnel de bureau, caissiers, réceptionnistes, postiers, comptables, etc.), il faut laisser d’autres activités prendre le relais avant de décréter à priori que ces places de travail sont perdues à jamais. En effet, les professions supprimées par la numérisation pourront être remplacées par de nouveaux métiers, par exemple dans les domaines suivants :
  • santé, soin, aide, accompagnement et service à la personne
  • IT, communication, ingénierie et nouvelles technologies
  • écologie, développement durable, énergie renouvelable, recyclage
Argument 2 : Le RBI permet de choisir son métier et d'avoir un travail ayant du sens.
Les employés qui ont pu faire de leur passion, leur travail, ne sont certainement pas majoritaires. La plupart doivent s'accommoder de leur chef, de leurs collègues, de leurs horaires, de leur activité.
Comment la création d'un RBI permettrait de transformer le contenu des emplois en quelque chose de plus attractif ? Au contraire, ceux qui choisiront d'arrêter un travail vécu comme une contrainte poseront les problèmes suivants : qui pour les remplacer (pénurie de main d'œuvre) ? Qui pour financer les prestations de l'Etat, inclus le RBI (car s'il y a moins de travailleurs, il y aura aussi moins de rentrées fiscales) ? Qui pour accomplir les emplois peu rémunérés, pénibles (il n'y aura plus aucun intérêt à effectuer un travail dont le salaire est proche du RBI) ?

Argument 3 : Le RBI permet de se consacrer à autre chose, formation, éducation, bénévolat, création artistique, développement personnel.
Même si rien n'empêche de faire ce qui précède à côté de son travail, ce serait évidemment agréable d'avoir plus de temps libre pour faire ce qu'on a envie (=plaisir) plutôt que de travailler (=effort). Malheureusement, un tel modèle de société hédoniste et oisif risque de ne pas être ni très productif, ni prospère (voir la déindustrialisation de la France des 35h). Si on veut que la Suisse garde son niveau de confort, sa qualité de vie, sa richesse et ses emplois, il risque bien de falloir continuer à tous travailler; sans parler du risque que des entreprises délocalisent, si la fiscalité monte pour financer le RBI (alors que les exportateurs sont déjà impactés par le franc fort et l'absence de croissance mondiale).

Il y a d'autres arguments pour et contre, mais en résumé, le tout paraît idéaliste, angélique voire naïf et même dangereux. Plutôt qu'une utopie, le RBI, en faisant rêver à un revenu sans aucune contre-partie, apparaît en fait bien plus comme une imposture. Dans ce contexte, mentionnons aussi la question des droits et des devoirs. La tendance actuelle est pour de plus en plus de gens de ne revendiquer que leurs droits, tout en n'assumant aucun devoir (par exemple, les citoyens suisses sont soumis au service militaire, pour assurer un bien commun qui est la sécurité du pays). Cette mentalité d'assisté et de profiteur du système, qui dérape ensuite en fraudeur et tricheur (abus aux prestations sociales, évasion fiscale, etc.) et au parasitisme (tel qu'il s'est développé en France, en Grèce, etc.), mène à la faillite de l'Etat (tout le monde veut obtenir des allocations, sans contribuer à l'intérêt général). Le RBI critique le système mais compte sur l'Etat pour son financement. Ironie ou hypocrisie ?

In fine, le RBI va sans doute à contre-sens de l'histoire. L'Etat-nation moderne, qui s'est construit au XVIIIème siècle (années 1700-1800), et qui a connu ses heures de gloire aux XIXème et XXème siècles, est en crise et en cours d'effondrement. Les conflits asymétriques et guerres civiles, les menaces transnationales qui sapent les fondements même de l'Etat (terrorisme, immigration), les zones de non-droits (trafics et communautarisme radical dans les banlieues) se multiplient et leurs effets à long terme ne doivent pas être sous-estimés. Compter donc sur un financement pérenne du RBI par un Etat en voie de disparition paraît dans ce contexte illusoire. La solution est plutôt à chercher vers l'autonomie et la résilience, l'initiative individuelle, en comptant sur l'Etat le moins possible.
Ceci pour traverser le mieux possible le "Nouveau Moyen Age" que sera notre XXIème siècle.

Fred Deion
https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2015/8727.pdf 

1 commentaire:

  1. Je rajouterais encore 2 points:
    1. Un inévitable appel d'air qui va être provoqué quand la planète entière apprendra qu'il existe un pays où l'on est payé pour ne rien faire.
    2. L'augmentation inévitable des loyers et autres charges fixes.

    Bref au final, nous aurons beaucoup de charges et peu de revenus. Ou, comment casser la machine à réussir Suisse.
    Mais au point où nous en sommes, allons y, ouvrez le champagne, dansons jusqu'au moment de la présentation de la facture finale.

    Waly

    RépondreSupprimer